Du ragoût de caribou aux baies en passant par la bannique : le lien entre la santé et le régime alimentaire
Décembre 2011 : Depuis sa communauté du nord de la Colombie-Britannique, Cynthia Munger a toujours quelque chose en cours sur le feu. Cette année, elle a demandé aux chasseurs de la région de lui rapporter deux orignaux afin de fumer leur viande et de préparer des ragoûts avec le plus grand nombre possible de membres de la communauté.
L'enthousiasme qu'elle a mis à cuisiner avec de jeunes mères et des aînés de sa communauté des Premières nations Stellaten s'est avéré si communicatif qu'elle apprend maintenant à mettre en conserve, à cuisiner et à manger sainement aux membres de plus de dix communautés des territoires Carrier Sekani. Ce sont ses grands-parents qui lui ont transmis ces compétences, et plus particulièrement sa grand-mère Marian Luggi et ses oncles qui rapportaient de la viande d'animaux sauvage et du poisson.
« De très nombreux membres de notre population sont diabétiques, et la majorité de notre peuple souffre de diabète de type II, » explique-t-elle. L'engagement envers une saine alimentation de cette représentante de la santé communautaire lui a valu une reconnaissance nationale de la National Diabetes Association en 2006. « Ce que nous faisons correspond à un changement de mode de vie et à un retour vers les régimes traditionnels. »
Aux aliments autochtones traditionnels, comme ceux dont elle fait la promotion dans sa communauté, sont associés des avantages culturels, sociaux et nutritionnels qui contribuent de bien des manières, dont certaines plus complexes, à la bonne santé des peuples et communautés autochtones. Toutefois, le changement des modèles de consommation fait davantage courir aux peuples autochtones le risque de contracter des maladies cardiovasculaires, le diabète et le cancer.
Les bienfaits pour la santé et les obstacles aux régimes autochtones traditionnels
Une
nouvelle étude du CCNSA dirigée par la docteure Lynda Earle, médecin hygiéniste en
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Nouvelle-Écosse, met en perspective le rôle de la santé et des régimes alimentaires traditionnels autochtones dans les interventions susceptibles de prévenir les maladies chroniques dans les communautés autochtones. Le rapport découle de l'examen de documents évalués par des pairs et de la documentation non universitaire. Il est axé sur :
- les schémas actuels de consommation dans les communautés autochtones;
- les bienfaits des régimes traditionnels sur la santé;
- la difficulté à promouvoir les pratiques alimentaires traditionnelles;
- des exemples de la manière dont les régimes traditionnels peuvent être pris en charge dans les communautés autochtones.
Parmi les faits saillants, des liens ont été établis entre certains facteurs alimentaires (comme l'oméga-3, le folate et la vitamine B12) et la santé mentale des peuples circumpolaires. Des études démontrent également que, bien que la consommation de viande traditionnelle décline avec le temps, des groupes comme les aînés et les Autochtones plus âgés consomment davantage de « nourriture du pays » que les jeunes. Parallèlement, la chasse et la pêche restent le mode de vie d'un tiers des Cris de la baie James.
Les difficultés d'accès
La sécurité alimentaire
L'étude recense les obstacles à l'accès aux végétaux traditionnels et aux ressources animales, ainsi que les problèmes d'insécurité et les préoccupations environnementales. Par exemple, l'incapacité des peuples autochtones hors réserve à obtenir des aliments adaptés a augmenté (27 % en 1998-1999; 33 % en 2004-2005).
Chez les Inuits, il s’agit également d’un problème chronique. Un
article de 2010 (en anglais seulement) du Journal de l'Association médicale canadienne révèle que près de 70 % des enfants inuits d’âge préscolaire vivent dans des foyers sujets à l'insécurité alimentaire, et conclut à l’existence d’une « prévalence élevée d’insécurité alimentaire, avec une proportion importante d’enfants la subissant de manière aiguë ».
Les facteurs qui influencent l’accès aux aliments traditionnels sont complexes et font intervenir le revenu, l’éducation, les structures sociales, les préférences alimentaires et l’accessibilité aux choix du marché et traditionnels. Les questions associées à la répartition traditionnelle des tâches de recherche de nourriture, ou encore aux exigences et aux coûts liés à la détention d’une arme à feu pour la chasse, sont des exemples des structures sociales qui limitent encore plus l’accès.
La santé environnementale
Les aliments locaux ont également été associés à des questions quant à la présence de contaminants environnementaux dans la chaîne alimentaire. Actuellement en cours au Canada, une étude décennale sur l’alimentation des Premières nations, la nutrition et l’environnement (
First Nations Food, Nutrition and Environment Study) se base sur la collaboration avec cent communautés des Premières nations prises au hasard pour mieux comprendre les facteurs nutritionnels et environnementaux qui influencent la santé et le bien-être. Les données recueillies portent sur des aspects comme l’utilisation des aliments traditionnels et achetés en magasin, la sécurité alimentaire (disponibilité et coût des aliments sains nutritifs); la quantité de nutriments et de produits chimiques de l’environnement dans de nombreux aliments traditionnels et la présence de métaux lourds dans l’eau potable et de dérivés pharmaceutiques dans les eaux de surface.
Les résultats de la première étude, consacrée à la Colombie-Britannique et réalisée avec la pleine et entière participation des membres de 21 communautés des Premières nations de cette province, révèlent que bien que ces personnes aient davantage tendance à souffrir d’obésité et de maladies associées, les risques diminuent à terme lors de la consommation d’aliments traditionnels. L’étude est financée par Santé Canada, avec la participation de l’UNBC, l’Assemblée des Premières nations et l’Université de Montréal.
Le
Centre for Indigenous Peoples' Nutrition and Environment (CINE), affilié à l’Université McGill, constitue également une initiative visant à traiter des préoccupations sur l’intégrité des systèmes alimentaires traditionnels. Comme l’indique le rapport du CCNSA, la communauté inuite de
Pangnirtung (en anglais seulement) a participé à un projet conjoint avec le CINE en vue d’encourager le retour à un régime alimentaire sain à base d’aliments locaux comme le phoque, le caribou, le narval et le béluga. Pangnirtung est l’une des douze communautés indigènes, avec les Gwich'in des Territoires-du-Nord-Ouest et la nation Nuxalk de Colombie-Britannique, qui a recours au savoir traditionnel, aux contes et aux aliments locaux pour favoriser le retour à des régimes alimentaires sains. Les résultats du projet ont été publiés dans le livre
Indigenous Peoples' Food Systems: the many dimensions of culture, diversity and environment for nutrition and health (en anglais seulement) (Rome : Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et CINE, 2009).
Comme notre diaporama le souligne, la nourriture du pays est de plus en plus présente dans les événements et les services communautaires, qu'il s'agisse de communautés rurales des Premières nations, de rassemblements inuits dans le centre-ville d'Ottawa, ou d'importants établissements sanitaires comme le centre de santé Meno Ya Win de Sioux Loockout, où les patients reçoivent du ragoût de caribou et d'autres aliments traditionnels dans le cadre d'une approche de l'alimentation en lien avec la culture.